vendredi 13 juillet 2012

Sélection - Deuxième Partie

Canens Africae blog

Sélection sur le caractère

Nous avons vu dans une première partie comment en tant qu'éleveurs nous effectuons notre sélection sur le physique. Le deuxième volet de cet article concerne la sélection sur le caractère, à la fois essentielle et beaucoup plus aléatoire que la sélection sur le physique. 
Essentielle car le caractère du chien-loup de Saarloos n’est pas encore tout à fait stabilisé. 
De grands progrès ont été faits ces trente dernières années, sous l’impulsion de Cornelia Keizer. On peut dire qu’une grande majorité de Saarloos est maintenant dans le standard en terme de caractère. 


 Selon le dictionnaire Larousse, le caractère est constitué de l'"ensemble des dispositions affectives constantes selon lesquelles un sujet réagit à son milieu et qui composent sa personnalité". 
Le standard du Chien-Loup de Saarloos est clair concernant ce chapitre : (...)Envers les étrangers, il est réservé, passablement méfiant.  Sa retenue et, dans des situations inconnues, son instinct de fuite semblable à celui du loup sont typiques pour le chien-loup de Saarloos et devraient être maintenues comme particularités de la race. 
Défaut éliminatoire : toute forme d’agressivité. 
Les problèmes qu'on rencontre au sein de la race sont liés à l'un ou l'autre des deux points évoqués au standard : une réserve excessive ou une agressivité non inhibée. 

canens africae chiens loups de saarloos
une réserve non agressive typiquement saarloosienne

La réserve 

Le problème de la réserve est qu’il est très difficile à son sujet de faire la part de l’acquis et de l’inné. On sait maintenant que la socialisation du chiot, puis du chien adulte, joue un rôle très important dans la timidité du chien. Pour certains auteurs, la socialisation et le travail jouent à 60% sur ce trait de caractère, et d’après notre expérience à l’élevage, je serais assez d’accord avec ces chiffres (Cornelia Keizer ne serait pas d’accord, et dirait que la part de génétique atteint les 80%).
Pour lui rendre justice, je me dois de préciser qu’il existerait un gène de la peur panique, directement hérité du loup, et dont seraient encore porteuses certaines lignées. Des travaux sont en cours en Hollande et en Allemagne pour essayer d’isoler ce gène. Une telle découverte constituerait pour les éleveurs un excellent outil sélectif, dans la mesure où il permettrait, pour peu que le gène soit autosomique récessif, de ne plus faire de mariages qui produirait des chiots potentiellement «atteints» de peur panique. 

La recherche des gènes de l’apprivoisement et de la peur est un graal pour les scientifiques. 
Le projet de recherche le plus important est mené actuellement en Russie par une équipe de généticiens, sous l’égide de Ludmila Trut. Il a été initié en 1957 par le généticien Dimitri K. Belyaev. L’objectif est de domestiquer le renard (Vulpus Vulpus)  comme a été domestiqué le chien à partir du loup, mais en laboratoire et sur un temps comparativement très court (la durée d’une vie humaine). L’expérience consiste à élever les renards et sélectionner les générations successives sur un seul critère : l’absence de peur face à l’humain. 

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Un des renards de l'expérience de Belyaev


Le résultat est probant, puisqu’au bout de 50 ans de sélection, les renards qui naissent aujourd’hui sont débarrassés de toute peur vis-à-vis de l’homme et sont très câlins et dociles. Certaines caractéristiques physiques se sont aussi modifiées (oreilles tombantes, panachues blanches, queue enroulées sur le dos) qui ne sont pas sans rappeler nos chiens domestiques actuels. Pour plus de renseignements concernant cette expérience passionnante et néanmoins éthiquement plus que critiquable (les conditions de vie et de mort des renards sont abominables), lire cet article


L’agressivité

Ce trait de caractère est parfois présent chez le Saarloos, et est beaucoup plus dommageable. On voit certains chiens ne pas hésiter à mordre lorsqu’on les approche. Cette agressivité est l’expression comportementale d’une mauvaise gestion du stress, mais procède malheureusement très probablement d’une origine génétique, et pas seulement d’une mauvaise socialisation ou d’une absence d’éducation. En effet, l’héritabilité de ce caractère est assez forte, et on voit très bien certaines lignées de chiens agressifs. C’est l’honneur de l’éleveur d’éloigner ces chiens de la reproduction. 

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Berger Allemand agressif 
(je n'ai pas trouvé de photo de Saarloos agressif)

Il est d’autant plus capital de ne pas conserver ce trait de caractère dans la race que les chiens-loups de Saarloos sont souvent confondus avec leurs cousins Tchécoslovaques, eux-mêmes sous surveillance pour cause de dérives comportementales (ils ont en effet une forte propension à mordre, et ce travers est recherché par certains éleveurs qui ont décidé, malgré l’interdiction de la loi, d’entraîner leurs chiens au ring). 
Si des accidents de ce type avec les chiens-loups de Saarloos venaient à ce multiplier, nul doute que les instances cynophiles, déjà peu intéressées par notre race, ne se battraient pas contre les autorités pour empêcher la catégorisation de nos chiens. 

Sélectionner sur le caractère consiste donc pour l'éleveur à jongler entre ces deux extrêmes. Cet exercice est malheureusement peu scientifique. On ne parle pas ici de sélectionner des caractères qualitatifs (le chien n’est pas peureux ou ouvert, ni agressif ou pas agressif) mais de caractères quantitatif (le chien est plus ou moins réservé, plus ou moins agressif, etc.)
En conséquence, il ne suffira pas de marier deux chiens sociables pour que les chiots le soient tous. 
D’autant que, comme nous l’avons déjà vu, l’acquis joue un rôle prépondérant dans le caractère du chiot, à la fois par l’éducation de la mère et par la socialisation à l’élevage. 
Par ailleurs, le caractère d’un chien n’est pas composé que de deux ou trois facteurs, mais d’une multitude, qui s’interpénètrent et interagissent pour composer une personnalité. 
La peur et l’agressivité en sont deux facettes très visibles, mais il faut y ajouter l’instinct de chasse, l’obéissance, l’intelligence, la gentillesse, etc. 
Composer avec tous ces facteurs relève dès lors plus de l’instinct et de l’expérience que d’un processus sélectif déterminé (l’inverse donc de l’expérience de Belyaev, qui ne sélectionne que sur un critère). 
D’autant que s’agissant du caractère du Saarloos, on danse sur un fil : il faut conserver la réserve mais éliminer la peur panique, l’agressivité doit-être totalement absente, l’instinct de chasse le plus atténué possible. 
En bref, tenter de conserver un caractère lupoïde (la réserve) en éliminant les aspects par trop négatifs du loup (chasse, agressivité). 
D’aucuns (dont certains issus du monde cynophile) souhaitent voir disparaître définitivement la réserve, pourtant inscrite au standard. 
Outre que cela changerait profondément la nature  même du Saarloos, on peut légitimement se demander ce que cela changerait en profondeur. En effet, la réserve est une attitude de retrait qui inhibe certaines réponses mal adaptée et qu'on ne souhaiterait pas voir apparaître dans la race. Ce n'est sans doute pas un hasard s'il n'y a quasiment jamais d'accidents de morsures avec les Chiens-loups de Saarloos (malgré un instinct de chasse très développé), alors que chez leurs cousins Tchécoslovaques les chiens mordeurs sont légions. 

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Chien-loup Tchécoslovaque au mordant
Pour l’éleveur se pose donc un problème à multiple facettes : comment produire un chien au caractère correspondant au standard, apte à s’insérer dans une famille, et qui répond à une certaine exigence du monde de la cynophilie. 
La réponse à ce problème est différente selon chacun.
Pour notre part, nous avons choisi de hiérarchiser les traits de caractère. 
Notre priorité absolue, le point de départ de notre sélection, est d'écarter absolument et définitivement les chiens agressifs. Tout chien mordeur, aussi beau ou lupoïde soit-il, est systématiquement éloigné de le reproduction. 
Nous refusons systématiquement d'utiliser des étalons ayant mordu, ou ayant produit des chiens mordeurs. 
La raison en est simple : il n’existe pas de remède ni de contrepartie à l’agressivité chez le Saarloos. Un chien mordeur répond à une situation de stress de manière inadaptée. Malheureusement, le chien-loup de Saarloos est une race confrontée à beaucoup de stress dans la vie de tous les jours, à cause de son caractère réservé. L’agressivité n’est pas une réponse acceptable à ce stress. 
En revanche, un chien très réservé, dès lors qu'il présente tous les signes de la gentillesse, sera utilisé sans problème. En effet, il sera relativement aisé d'atténuer fortement la timidité par la socialisation.
Des chiens à problèmes comportementaux non agressifs ont une possibilité de se reproduire, néanmoins si nous constatons que les dysfonctionnements sont transmissibles, nous les éloignons de la reproduction. 
Nous avons par exemple acheté il y a deux dans un autre élevage une jeune chienne adulte qui n'avait jamais reproduit. Elle était extrêmement craintive à son arrivée chez nous, et nous avons eu beaucoup de mal à l'apprivoiser. 
Par ailleurs, elle présentait un comportement déviant de malpropreté et de coprophagie. 
Une première portée n'a pas amélioré ces problèmes, mais sa réserve s'est atténuée. Nous avons donc décidé de retenter l'expérience. Malheureusement, les problèmes ont perduré, et par ailleurs les chiots de la première portée présentent, pour plus de la moitié d'entre eux, des caractères difficiles. Les chiots de la deuxième portée encore plus, alors même que les mâles sélectionnés étaient extrêmement ouverts. Nous avons donc décidé de mettre la chienne à la retraite.

A l'inverse, Andiamo lorsqu'elle est arrivée à la maison était extrêmement craintive, beaucoup plus que les limites du raisonnable. Elle ne montrait cependant, en aucune circonstance, de signe d'agressivité. Nous n'avons donc pas hésité un instant à la faire reproduire, et elle a élevé des chiots très équilibrés et ouverts. 

Je conclurai sur ce thème en évoquant ce qui est à mes yeux une des plus grosses impostures de la planète chien en terme de sélection de caractère : le test de Campbell.

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Une des épreuves du test de Campbell

Cet éthologiste américain à élaboré dans les années 60 une série de cinq exercices que le futur maître doit faire passer à son chiot avant de le choisir, et qui est sensé lui donner de bonnes indications sur le tempérament de celui-ci, pourvu que les conditions définies par Campbell soient scrupuleusement respectées. Je ne m'étendrai pas plus sur ce test, on trouve facilement sur internet tous les détails le concernant. 
Je voudrais juste pointer son inanité totale, au moins concernant le Saarloos (mais à mon avis toutes les races de chiens). Ce test en effet ne prend absolument pas en compte les facteurs environnementaux du caractère du chiot d'une part, non plus que ces capacités d'évolution. 
Il est heureusement passé de mode, mais on trouve encore parfois des gens pour le recommander...

10 commentaires:

  1. Je lis avec attention ce post et effectivement les avis diverges notement sur les tests de campbell que j'ai moi même fait sur une portée de saarloos (celle de Dolce) et contrairement a vous je pense qu'au contraire, il est interessant non pas pour mettre en avant un caractere ou un autre, mais pour mettre en avant un manque sur tel ou tel chien a un trés jeune age. Le test a était trés révelateur quand a la reserve des chiots (et pas de leurs caracteres) et pour avoir fait le test sur une multitudes de races les differences (sans jamais avoir pris a la lettre les resultats ...) la race sur laquelle justement le test est trés trés interessant a mon avis est le Saarloos et m'a permis de produire des chiens hyper équilibrés à 2 mois cela en confirmant les sujets a travaillés plus que les autres (sachant que Dolce est une chienne qui était sujette aux "peurs paniques" et ne l'es plus grace a une vrai éducation!) Les sujets sont donc, pour moi, "adaptable et modelable" si tant est que les caracteres soient mis en avant dés le plus jeune age (4 à 6 semaines) et en cela les test de Campbell peuvent être un bon appui !!
    Par ailleur je pense qu'il faut aussi mettre en avant que la race du saarloos a pour réputation de ne pas être "éducables" où il faut laisser librement s'exprimer "le loup" et que du coup une multitude de chien est laissée "en jachere" d'éducation, qui peu a long terme sur des chiens stable mettre en avant une forme d'agressivité, sur ses proches, qui n'est a mon sens pas due au chien mais plus a son environnement ! Cette agréssivité pour moi est trés différente de celle des chiens agressifs sur des inconnus qui mordent par peur, peur a bannir dans le saarloos comme dans toutes les races !
    Sinon le sujet est passionnant ;o)

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    1. pardon "agressivité par peur a bannir chez le saarlo comme dans toutes les races" et pas "peur a bannir ..." ;o)

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  2. Moi ce que je ne comprends pas, ce sont les gens qui veulent un Saarloos sans réserve... Je ne vois pas du tout l'intérêt car c'est ainsi que la race existe et pour moi, ce n'est en aucun cas un défaut de la race bien au contraire! Les gens ont l'air de confondre réserve et agressivité!
    Bref, ce post est super intéressant et j'ai hâte de voir les prochains mariages!! ^_^

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  3. Sandra,
    je ne suis pas du tout d'accord avec toi sur le test de campbell, mais à chacun son opinion, il ne s'agit pas d'ouvrir un débat, plutôt d'exposer différents avis.
    Je te rejoins par contre lorsque tu dis que les chiens sont adaptables et modelables (c'est d'ailleurs précisement pour cela que je considère le test comme une supercherie), et sur le fait qu'il faut mettre en oeuvre une éducation dès le plus jeune âge. Je ne juge pas les gens qui veulent laisser librement le loup s'exprimer dans leur chien (je n'avais pas pensé le cas de figure en ces termes, mais je pense que l'image est assez juste). Après tout, l'aspect lupoïde nous attire tous (les possesseurs de Saarloos) à des degrés divers. Néanmoins, je pense que ne pas éduquer son chiot sous ce pretexte est une erreur qui sera payée très chère par le maître et par le chien.
    Je ne te suis pas vraiment par contre quand tu dis que le manque d'éducation peut rendre certains chiens stables agressifs par peur.
    Je suis d'accord pour distinguer la morsure liée à la peur (morsure de défense) de l'agressivité, néanmoins je ne pense pas que l'éducation aie rien à voir dans l'histoire. Si la morsure n'est pas inhibée "naturellement", elle ne le sera pas par l'éducation, et s'exprimera à un moment ou à un autre. Au contraire, une morsure inhibée (comme c'est le cas chez une très grande majorité de Saarloos) le sera toujours (ou presque toujours).
    Un chien non agressif, mais dont la morsure de défense s'exprime, se trouve dans la zone grise entre le pacifique et l'agressif. A l'éleveur de déterminer si oui ou non il doit-être utilisé pour la reproduction.

    Justine, personne ne VEUT un saarloos sans réserve. Ceux qui veulent la supprimer sont justement ceux qui ne veulent pas d'un Saarloos, qui n'apprécient pas la race, et qui ne comprennent pas l'intérêt d'avoir un chien qu'ils perçoivent comme peureux. Ce sont souvent des juges de la race, qui confondent chiens-loups de saarloos et chiens-loups Tchécoslovaques...

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  4. Comment modeler et (s)adapter a un chiot sans en connaitre le caractere ? C'est en cela que les test m'ont aidé avec mes chiots ! Mais effectivement le sujet fait couler beaucoup d'encre et les avis divergent, je comprends qu'on ne soit pas d'accord, certains tests sont trés mal utilisés il faut seulement avoir le regard adequat au chien, a la race, a la personne qui pratique le test et au test lui meme ! Elements qui ne sont pas forcement tous facile a controler, j'ai l'avantage indeniable d'avoir le recul d'une dizaine de races avec ces tests qui me permet effectivement de les interpréter de la bonne maniere (du moins a mon gout !) et de ne pas classer les chiots dans des categories sans vouloir les en faire sortir c'est meme tout l'inverse ! Pour moi les tests ne sont là chez le saarloos pour mesurer la capacité d'adaptabilité d'un chiot a un moment T de sa vie et ainsi d'affiner le travail a faire ou fait avec ! Mais je comprend que certaines notions soient mal interprétées par un grand nombre de personnes et que du coup il vaille mieux ne pas les utiliser plutot que mal les utiliser ! C'est un outils tout comme peut l'être la laisse ou la friandise dans l'éducation on l'utilise ou pas chacun son ressenti le principal etant de trouver le bon chiot au bon maitre ;o) !

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    1. Et oui, à chacun ses méthodes et croyances Sandra. Je ne veux pas polémiquer sur le sujet, chacun pourra se faire son avis en étudiant les tests de Campbell et dérivés, et les critiques nombreuses (positives et négatives) qui en sont faites.

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  5. Article super!
    Je suis pour que le saarloos garde justement sa "crainte", si ça ne plait pas, il existe des milliers d'autre races ^^
    Pour ce qui est des tests, je n'en ai jamais fait en choisissant mes animaux, je ne crois pas à ça.
    Personnellement à chaque fois que je suis allé adopter un chien ou un chat, c'est lui qui me choisissait, à chaque fois j'en trouvais un plus mignon que les autres ou plus grand, ou plus éveillé, mais non, c'est eux qui m'ont toujours choisis, et j'ai toujours eu des chiens et chats très obéissants et épanouis dans la famille.

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  6. Merci Sarah. C'est une bonne idée de se laisser choisir par son chiot. Nous avons remarqué à l'élevage que dans 90% des cas, le chiot préalablement choisi sur photo par son futur maître est celui qui se précipite dans ses bras lors de la première rencontre.

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    1. "Nous avons remarqué à l'élevage que dans 90% des cas, le chiot préalablement choisi sur photo par son futur maître est celui qui se précipite dans ses bras lors de la première rencontre."

      Je peux en témoigner, ca a été le cas pour nous également. Bizarre bizarre ;)

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  7. super suite d'article ;-) pour ce qui est du test de Campbell, je ne l'ai jamais testé, ne le connaissant pas quand j'ai eu Flamme à 2 mois et ayant de toute facon récupéré Cybelle quand elle était adulte, et comme Sarah, c'est plus Flamme qui m'a choisie que l'inverse ;-)

    et j'aime beaucoup la remarque suivante :

    "Nous avons remarqué à l'élevage que dans 90% des cas, le chiot préalablement choisi sur photo par son futur maître est celui qui se précipite dans ses bras lors de la première rencontre."

    ;-)

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