lundi 15 juin 2015

De la consanguinité

Blog Canens Africae


Dans l’élevage du chien-loup de Saarloos (et probablement hélas de bien d’autres races) sévit une pratique détestable mais bien installée, celle de l’ostracisation de certains chiens (des étalons pour la plupart).

Cette mode, également en cours en Allemagne et en Hollande, pousse certains éleveurs  et particuliers à détruire l’image d’un chien sous prétexte qu’il est trop présent dans les lignées, qu’il était porteur de telle ou telle maladie, qu’il n’est pas de race pure, etc. 

Dans le Saarloos, le premier étalon (à ma connaissance) à avoir subi pareille avanie est Quick, issu semble-t-il d’un mariage CLS x CLT. Je dis semble-t-il, parce que le fait serait documenté, mais que je n'ai jamais vu ces preuves de près ou de loin et me garderai donc de toute affirmation à ce sujet. 
Puis est arrivé le tour de Zen (Zazi Zen Daoina Sidhe), accusé de la même infamie, alors même qu’une filiation génétique atteste de son ascendance. 
Skog Av. Seppalaska a suivi, la légende lui prêtant des ancêtres sauvages. 
Aujourd’hui c’est au tour d’Antibes (Antibes Azur de Louba Tar), coupable d’avoir trop servi et d’être trop présent dans les pedigrees. 
J’en oublie sans doute. 

Les discours concernant ces chiens sont toujours les mêmes, et interchangeables. Ils sont accusés d’être de sang impur (!), de modifier le type et bien sûr pour le pire, d’être tellement présents dans tous les pedigrees qu’ils font exploser la consanguinité, etc. Bref, d’être à l’origine du déclin de la race. 

Or, ces discours qui trouvent écho auprès d’une (petite) partie des amateurs de Saarloos ne sont intéressants que parce qu’ils démontrent l’ignorance, voire l’inculture, de ceux qui les tiennent, tant au niveau de l’histoire de la race, que de la génétique ou de la cynophilie.
Tout d’abord, il est capital de bien comprendre que la consanguinité est à la base de l’élevage et de la sélection, et à l’origine des races canines. 
En effet, pour encore quelques temps, génétiquement parlant, toutes les races de chiens domestiques ne sont que des variétés d’une même sous-espèce de loup, Canis lupus familiaris. Seule la sélection humaine permet de maintenir des morphotypes aussi différents que par exemple le chihuahua, le bulldog anglais et l’irish wolfhund au sein d’une même sous-espèce (ces races sont théoriquement reproductibles entre elles, même si on peut légitimement se demander ce qu’il en serait du croisement d’un chihuahua et d’un irish wolfhound). 
Quoi qu’il en soit, si toute la sélection humaine s’arrêtait du jour au lendemain, et que les races canines étaient laissées complètement libres de se reproduire entre elles à leur guise et au hasard des rencontres, les races canines disparaitraient en quelques dizaines d’années pour laisser place à des variantes issues d’une sélection naturelle d’un même morphotype médioligne (taille et poids moyen, longueur et largeur moyenne) proche de celui des chiens parias. 
Seules les variétés isolées géographiquement, et par conséquent se reproduisant en consanguinité serrée (endogamie) conserveraient un morphotype ou des variantes comportementales ou physiologiques pouvant les rapprocher du concept moderne de races canines (le chien chanteur de Nouvelle-Guinée est un exemple de cette sélection naturelle orchestrée par une consanguinité rapprochée). 
Cet exemple démontre bien à quel point la consanguinité est importante, car elle va permettre de fixer des caractéristiques recherchées, et de les travailler pour orienter l’évolution des races vers des morphotypes et des types bien définis. 

Il est très important de comprendre que nous n’élevons pas une espèce sauvage à sauvegarder, mais une race domestique à améliorer. Les tigres ou les gorilles doivent être préservés, réintroduits, protégés. Les programmes de reproduction dans les zoos et parcs sont conduits avec grand soin, sur la base d‘échanges décidés grâce aux studbook (livres généalogiques). Dans les programmes de reproduction européens (EEP) des zoos, on ne tient pas compte de l’esthétique du mariage, le seul critère qui vaille étant la génétique, pour éviter la consanguinité, qui est le principal problème qu’ont à résoudre les responsables de ces programmes. 
Pour les races de chiens au contraire, le critère le plus important est la beauté, suivie de près, ou à égalité, avec le caractère et la santé. La consanguinité n’est pas un problème mais un outil.
En élevage canin, tourner le dos à la consanguinité, c’est appauvrir le type, et perdre les caractéristiques de la race. 
Puis, quand la consanguinité est trop élevée, on fait de l’outcrossing, c’est-à-dire qu’on va chercher à l’extérieur de ses lignées des courants de sang neuf, si possible avec des caractéristiques physiques et sanitaires proches de ce qu’on recherche. 
Dans le cas d’une race jeune, ou d’une race ancienne en perdition, il est courant qu’on introduise du sang d’autres races, de manière plus ou moins légale, pour diversifier le pool génétique. 
Il en va de même pour toutes les races de chiens, et pour toutes les races d’animaux domestiques de par le monde. C’est la définition même d’élevage de race. Si on n’est pas d’accord avec le fait qu’utiliser la consanguinité est une nécessité, si on pense que le plus important n’est pas la beauté, mais une consanguinité proche de zéro, alors on ne devrait pas élever des animaux de race, mais des bâtards. 

Il est difficile d’expliquer en quelques lignes la consanguinité en tant qu’outil d’élevage. La maîtrise de cette pratique est une discipline à part entière du métier d’éleveur, qu’on aborde avec les formations de la SCC, puis qu’on doit approfondir soit même en lisant et faisant de la formation continue. Le calcul exact du pourcentage de consanguinité pour chaque chien est maintenant possible grâce au logiciel de calcul du site saarloos.fr, et est un atout énorme et un gain de temps considérable pour les éleveurs. Mais il n'est qu'un des volets de l'endogamie. il faut aussi pouvoir manier les concepts de lignées, de courants de sang, et savoir calculer l'héritabilité de certains facteurs. 

Les chiens ostracisés dont il est question plus haut (Quick, Zen, Skog et Antibes) l’ont été pour partie parce qu’ils apportent trop de consanguinité par leur forte présence dans les pedigrees. Mais ils l’ont été aussi, et par les mêmes personnes, parce qu’ils ne sont pas de race pure. La réflexion est complètement schizophrénique, ou on est contre la consanguinité, et on se réjouit d’un outcrossing qui sauve la race, ou on est pour, et on se réjouit aussi d’un outcrossing qui rafraichit le pool génétique. 

Le plus amusant de cette histoire est que lors du clubmatch du NVSWH en Hollande les 4 et 5 avril de cette année, le président du club de race nous a donné une liste impressionnante de chiens officieusement bâtards, des mariages interdits ayant été réalisés par des membres des deux clubs de race hollandais, mais aussi par des allemands, et surtout, comble du comble, par Leendert Saarloos lui-même (je précise que ces révélations n’étaient pas faites dans un esprit de partage, mais pour démontrer pourquoi les outcrossing actuels du deuxième club de race, l'AVLS, étaient inutiles et vaines. Je précise aussi que la moitié au moins de ces « révélations » me sont apparues fantaisistes, voire impossibles, et destinées plus à illustrer un discours par ailleurs contestable qu’à servir la Vérité). 
Mais que ces assertions soient vraies ou fausses n’a aucune importance. Elles démontrent juste qu’à tous les niveaux, les rumeurs sont utilisées à des fins personnelles pour décrédibiliser tel ou tel. 

Je conclurai cet article par une remarque très personnelle : si retrempe il doit y avoir, je préfère mille fois que l’outcrossing se fasse avec un chien-loup tchécoslovaque, aux origines, à la génétique, au morphotype et au caractère proches du Saarloos, qu’avec un berger blanc suisse, un podenco, ou un berger allemand à poil long, races qui figurent sur la liste des candidats potentiels du deuxième club hollandais. 

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