dimanche 18 mars 2012

Instinct de meute du Saarloos et conséquences


Canens Africae chien loup de saarloos
Meute de Saarloos chez Cornelia Keizer

Comme toutes les races de chiens, le chien-loup de Saarloos est un animal social, qui a hérité de son ancêtre loup un instinct grégaire très puissant.

Pour beaucoup de races de chiens, le travail de sélection de l'homme a visé à canaliser cet instinct, à le maîtriser, de manière à ce que les chiens actuels soient plus à même de supporter la solitude que leurs ancêtres.
Tout ce travail a été sapé chez le Saarloos, lorsque son créateur a marié le loup au Berger Allemand. Des milliers d'années de sélection, qui ont abouti à ce chien aussi obéissant qu'inséré dans la société humaine qu'est le Berger Allemand, effacées par un acte régressif, le mariage du domestique et du sauvage, de l'obéissant et de l'indomptable.

Avec le sang de loup, l'instinct de meute a refait surface chez le saarloos. Concrètement, cela signifie que les interactions sociales avec ses congénères canins sont devenues vitales au Saarloos, et que lui n'est plus capable, contrairement à certains d'entre eux (toutes les races n'ont pas perdu cet instinct), de vivre seul.

Pour un chiot "normal", la solitude n'est pas naturelle, et l'instinct grégaire est très fort. Néanmoins, par un apprentissage patient et sensible, on peut parvenir à lui faire supporter une solitude complète (absence des maîtres + absence d'autre chien) pendant quelques heures sans traumatisme irréversible. 
Pour un louveteau, la solitude complète (absence des parents + absence des frères et soeurs) signifie ni plus ni moins que la mort à court terme, tué par un prédateur ou par la faim. Il est incapable de rester seul sans devenir fou d'angoisse. 
Le chien loup de Saarloos se situe quelque part entre les deux, tiraillé entre ses ancêtres. 
On pourrait penser que la présence humaine est un substitut à la présence de congénères canins, tant il est vrai que les humains de la famille font partie à part entière de la meute du Saarloos. 
Hors, il n'en est rien. Personne ne pourrait remplacer un autre chien pour un Saarloos, à part peut-être Shaun Ellis. Et encore. 
Vous sentez-vous capable d'initier des parties de chasse interminables avec votre chiot puis votre chien adulte, et ce à toute heure du jour et de la nuit? 
Pouvez-vous dormir avec votre chien toutes les nuits?
Etes vous capable de lire les humeurs de votre saarloos en reniflant ses odeurs corporelles?
Vous sentez-vous capable de mimer l'acte sexuel pour jouer avec votre compagnon? 
Etes-vous en mesure de passer avec lui 24 heures sur 24, 7 jours sur 7? 
Si à une ou plusieurs de ces questions la réponse est non (et pour moi, la réponse est non à toutes ces questions), alors c'est que vous ne pouvez pas remplacer un compagnon  canin auprès de votre saarloos. Et encore, les quelques exemples ci-dessus ne sont qu'une infime partie de ce que les chiens s'apportent mutuellement. Et qu'aucun humain ne peut remplacer. 

Il n'y a pas longtemps, nous avons été contacté par un jeune couple pour l'adoption d'un saarloos adulte en placement, en l'occurrence Eiko. Le jeune couple en question avait une petite Saarloos de quatre mois, et pensait qu'une compagnie canine pourrait être une bonne chose pour elle. 
Comme je me déplaçais dans la région où ils habitaient quelques jours plus tard, j'ai proposé de déposer Eiko à leur domicile, à l'essai pour quelques jours, et de passer le reprendre en cas de problème. En arrivant, j'ai trouvé des gens calmes et sympathiques, et une jeune chienne tranquille et réservée, qui s'est littéralement transformée quand elle a vu le chien, et a commencé à jouer comme une petite folle. Eiko quant à lui s'est montré très ouvert avec la famille, calme et posé avec la petite, et est tout de suite aller se faire caresser par le couple. Tout s'annonçait pour le mieux, et je les ai quitté l'esprit tranquille. Malheureusement, quelques jours plus tard, ils m'ont rappelé en me demandant de venir chercher Eiko. Motif : tout allait très bien avec lui, ils commençaient même à s'y attacher, mais la petite chienne n'obéissait plus, était devenue ingérable. 
J'ai récupéré le chien. Mais j'ai laissé derrière une petite Saarloos de quatre mois, qui est sortie de sa solitude pendant un court moment, et que ses maîtres, sans penser à mal sans doute, ont replongé dans son état semi-dépressif. Ce qu'elle a exprimé durant ces quelques jours, c'était juste de la joie de vivre et du bonheur. Son comportement aurait fini par se réguler et revenir à la normale (c'est-à-dire, pour eux, au calme), au bout de quelques semaines. Au lieu de quoi, ses maîtres ont préféré ne pas garder Eiko qu'ils percevaient comme l'origine du problème de leur chienne, sans se rendre compte qu'il était en fait la solution. Il est anormal pour un chiot de quatre mois d'être sage comme une image, de grogner à la porte quand quelqu'un sonne, de ne pas faire de bêtises dans la maison. Ce comportement traduit sans doute une insécurité constante, qui l'empêche de vivre à plein sa jeunesse. 
A cet âge, un chiot devrait toujours pouvoir compter sur son entourage (ses maîtres, un ou plusieurs chiens adultes) pour le protéger, et de ce fait avoir l'esprit assez tranquille pour exprimer sa joie de vivre et laisser aux autres le soin de grogner à la porte. 

Ce que raconte cette histoire, c'est que jamais un Saarloos ne devrait être privé de compagnie canine. C'est malheureusement trop souvent le cas. Cette petite femelle réussira peut-être à sortir de cette enfance solitaire sans traumatisme permanent. Malheureusement, c'est peu probable, et il y a fort à parier que des problèmes comportementaux apparaîtront plus ou moins rapidement, problèmes qui pourront aller, selon la gravité de la névrose, d'une réserve se transformant en peur panique, à une agressivité montante envers les autres chiens ou plus probablement les humains. 
Je ne cherche pas à culpabiliser qui que ce soit en écrivant ses lignes. Quelques personnes de notre connaissance n'ont qu'un Saarloos, et parfois les choses se passent très bien. Mais, à chaque fois, ces personnes ont réussit à créer une relation fusionnelle avec leur Saarloos, qui ne les quitte pas d'une semelle ni le jour ni la nuit (Cédric et Danka, Martial et Gurkan). Par ailleurs, ces personnes ont des chiens dans leur entourage immédiat, que leurs saarloos voient longuement tous les jours, ce qui, en association à la relation fusionnelle et exclusive qu'ils entretiennent avec leur maître, est suffisant pour combler leurs besoins de contacts canins. 
Néanmoins, notre expérience d'éleveurs nous montre une chose : presque tous les chiens qui sont revenus (ils sont peu nombreux heureusement) étaient des chiens que nous avions placés seuls, soit que l'un des deux du couple ne travaillait pas ou travaillait à la maison, soit que le Saarloos pouvait suivre son maître sur son lieu de travail. Ces placements furent des erreurs, que nous ne commettons plus désormais.
Ce que je voudrais faire comprendre aux futurs maîtres, c'est qu'on ne sait pas, on ne comprend pas ce qu'est un saarloos si on ne comprend pas ce besoin si puissant qu'il a de compagnie canine. 
Et qu'une fois qu'on l'a compris, comment et pourquoi la lui refuser? 

7 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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  2. GwenMar 22, 2012 07:50 AM
    Bonjour, je suis une amie proche du jeune couple dont vous parlez dans cet article, j'ai donc eu la chance de rencontrer Eiko qui est un chien super et très sociable mais certaines bases étaient à reprendre. Je possède une femelle Berger Australien de 3 ans, il a été très joueur avec mais également assez dominant (il a essayé de la prendre alors qu'elle est stérilisée, la mettait sur le dos...). Bref, ils ont eu beaucoup de mal à refuser de garder Eiko, cependant je comprends leur choix, c'est compliqué de prendre un chien adulte où certaines bases sont à reprendre alors qu'ils possèdent un chiot où justement toute l'éducation est à faire et sans erreur. De plus, vous insinuez des choses non réelles à leurs sujets: ***** s'est renseignée depuis plusieurs années avant d'acquérir un saarloos, elle ne travaille pas et elle est donc 24h sur 24 avec sa petite chienne, elle la sort énormement et rencontre d'autres chiens, elle l'emmène tous les samedis et dimanches à l'école des chiots et l'éducation et nous nous voyons énormément afin que sa chienne et la mienne jouent ensemble.
    Certes, G*** est de nature réservée, mais uniquement avec les humains, chaque chien à son caratère... C'est pour cela qu'ils l'emmènent partout afin qu'elle soit plus sociable avec les hommes. Bonne chance à Eiko pour trouver une famille aimante, car il le mérite ce petit père :)

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  3. Bonjour Gwen,
    tout d'abord, je me permets de modifier votre commentaire : j'ai masqué le prénom de la maîtresse et celui de la petite chienne. Ne connaissant pas encore toutes les fonctions de ce blog, j'ai du supprimer votre message pour le remplacer par sa version masquée.
    La raison de cette altération de votre message est double : tout d'abord, vous aurez remarqué que je prends soin de ne donner aucune indication dans mon article concernant l'identité du jeune couple ou de la chienne (pas de prénoms, pas d'indication géographique). L'exemple est juste là pour illustrer le fond de l'article et non l'inverse. Par ailleurs, j'ai trouvé ce jeune couple très sympathique, et mon but n'est absolument pas de les stigmatiser.
    Je trouve votre commentaire assez injuste, je n'insinue absolument rien à leur sujet. Je n'ai pas du tout écrit, ni pensé d'ailleurs, qu'ils ne s'étaient pas renseignés avant l'adoption. Si c'était le cas, je ne pense pas que l'éleveuse aurait laissé partir la petite d'ailleurs. Je n'ai pas écrit ni laissé entendre que la chienne était laissée seule toute la journée, ni qu'elle n'était pas sortie, ni qu'elle était mal socialisée, ni qu'elle n'allait pas à l'école du chiot.
    Encore une fois, et si ce n'était pas clair, je pense que ces personnes font leur maximum pour apporter du bonheur à leur petite chienne.
    Je ne suis certes pas éducateur (et je ne sais pas si c'est votre cas), et j'ignore donc absolument quelles sont les bases à reprendre dont vous parlez concernant Eiko. Il y aurait sans doute des choses à dire sur votre assertion sur sa dominance supposée, mais ce n'est pas le sujet.
    Quant à mon appréciation de l'état psychologique de la petite chienne, pardon d'utiliser cet argument, mais j'élève des saarloos depuis huit ans maintenant, et là je me sens compétent. Les chiots saarloos sont en quelque sorte ma spécialité. Je peux vous assurer que la petite femelle que j'ai vue n'était pas du tout épanouie à mon arrivée. Et que la transformation qui s'est produite quand elle a vu Eiko était extraordinaire. Sa réserve à mon endroit notamment a disparu en quelques secondes, preuve s'il en est qu'elle n'est pas intrinsèque mais contextuelle.
    Le sens de mon article n'est pas de dire que cette histoire se terminera mal. Je souhaite à ce jeune couple et à leur petite chienne tout le bonheur possible (si c'est ce que vous pensez, je peux vous assurer que je ne nourris aucune amertume sur le fait qu'Eiko n'ait pas été placé, même si je dois avouer que les circonstances m'ont un peu chiffonné).
    Je ne pense pas non plus que toutes les fois où un Saarloos est placé seul dans une famille, il finit toujours abandonné.
    Ce que j'ai voulu dire (et si vous me relisez, je ne crois pas que vous trouverez un autre sens à mon texte), c'est que prendre un Saarloos seul, c'est passer à côté de la nature même du chien, c'est le condamner à vivre sa première année dans une instabilité émotionnelle, et s'exposer à des déboires comportementaux.
    Ni plus ni moins.
    Beaucoup passent cette épreuve sans séquelles visibles et arrivent à l'âge adulte apaisés (les femelles sont à mon avis beaucoup plus fragiles que les mâles). Beaucoup reviennent chez leur éleveur. Presque tous développent des troubles comportementaux plus ou moins importants et réversibles.
    J'espère avoir clarifié mes propos, qui visaient uniquement à montrer à quel point une présence canine est essentielle à l'équilibre d'un Saarloos (surtout un chiot), pas à accuser qui que ce soit.

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  4. Epilogue : la petite chienne dont il est question dans l'article a finalement été replacée.

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  5. Oo, j'avais pas lu l'épilogue de ce couple...Comme quoi je reste intimement persuadé, beaucoup de monde peuvent vivre avec un chien, beaucoup moins avec un chien-loup...on est fait pour eux, ou ils sont fait pour nous, mais ce ne sont pas des compagnons pour tous malgré la bonne volonté des maitres.

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  6. Comment?
    La petite chienne solitaire a été placé dans une autre famille?
    Si c'est le cas... franchement, c'est décevant de voir que des gens adoptent encore des chiens sans savoir d’où vienne leur nom...

    Cela fait 5ans que je rêve d'avoir un saarloos à la maison, il ne se passe pas une journée sans que je regarde les photos des différents élevages et de leur bébés placés ainsi que tous les conseils qu'ils partagent.
    Malheureusement je ne pourrais pas encore aller le chercher demain, tout ça pour dire que ce sont des chiens tres spéciaux et qu'en adopter un doit etre un acte plus que tres réfléchit, je suis "tombée amoureuse et réciproquement" de certain chiens qui ont partagé ma vie et je pense que c'est ce lien qu'un saarloos a besoin.

    A coté de ça, la présence d'un autre chien à ses coté peut etre que bénéfique.
    Je ne pense pas que je saurais vivre seule avec 6chiens qui me "tolère" chez eux.
    Puis je part du principe que si vous avez de la place pour un saarloos, les nerfs pour un saarloos, la patience pour un saarloos et la joie de vivre avec un saarloos...
    Bah vous avez tout ça aussi pour un chien d'une autre race, qui vous posera surement bien moins de "soucis"...j'ai envie de dire.

    Fin bon tres beau texte, ça fait réfléchir, mais c'est pas comme si c’était nouveau qu'un loup vivait en meute, serait temps que les gens réfléchissent.

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  7. Le fait de la nécessité d'avoir un autre chien à la maison pour acceuillir un Saarloos ne fait aucun doute pour moi... Flamme est un atout et une aide indéniable dans l'éducation que j'essaye d'apporter à Inox, car bien évidemment un humain ne remplace jamais les jeux et les codes qu'ils peuvent avoir entre "chiens".
    En plus de ca, elle l'aide à appréhender le monde extérieur avec un autre regard, elle lui montre que les gens ne sont pas méchants, que les situations inhabituelles ne valent pas la peine d'en avoir peur... quand nous sortons de la maison, c'est elle qu'il interroge du regard pour se rassurer et pour adapter ensuite son comportement au sien. Et que de jolis moments de jeux et de calins ils ont tous les 2...
    Et autre grand avantage, quand vient le coup de folie du soir, c'est elle qu'il embête après nous avoir épuisés ;-)

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